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Homotrace.
Par Margot Marguerite (Écrivain)
Le temps de l'oubli n'est pas encore venu.
L'homme ramasse ces vieux objets, vieille marmite, vieille chaise, horloge murale sans mécanisme. Il les tourne et retourne, puis tourne lui-même autour, jusqu'à ce qu'ils lui aient murmuré leur histoire. Les objets du peuple lui parlent, comme ils parlaient à Rimbaud :
Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.
A dessein, Kamel Yahiaoui choisit des objets peu onéreux, des meubles de rien, puis il les peint. Il les transforme, les bouleverse, et les charge, c'est son art et son combat. Il nous conduit sur les traces des hommes et des femmes du peuple.
Comme celle de l'homme soufflé, peint sur une de ces marmites emplies d'explosif et de morceaux de métal, que l'aviation balbutiante de la première guerre mondiale larguait sur les tranchées. Trace de ces milliers de tirailleurs, sujets de l'empire colonial déchiqueté dans la Marne, la Meuse et l'Artois.
Trace encore sur cette plaque publicitaire (Byrrhs) pour ce vin cuit, apéro popu s'il en fut, des solitudes accoudées au comptoir, des bars pour travailleurs sans famille, des foules déplacées, immigrées, exilées, déportées.
Un morceau de piano, quelques visages et des clés sans serrures, (Les clés du sol), fait écho. "J'ai toujours la clé dans ma main, et le chant dans mon cœur, mais je n'ai plus de maison" chantait déjà Mahmoud Darwich.
Kamel Yahiaoui, est un artiste moderne et un homme de mémoire. Il est chargé de la force et de l'esprit de ceux que ses pinceaux font chanter. Il les a choisis, ils l'ont choisi, comme ils l'ont fait de Issiakhem et de Prévert qui auraient tant aimé cette brumaille d'homme surgie d'une cocotte minute, comme le génie de la lampe merveilleuse.
Kamel Yahiaoui est l'émotion et la poésie à vif de ces petites quantités en voie de disparition ; il est la colère sans haine. Regardons : une table basse, une table de nuit. Ses trois femmes l'ont-elles possédée, ont elle été possédées ? Ses objets sont sans cadre. Mais, peut-être place t-il le cadre ailleurs, chez nous, en nous, en l'objet ? Son art ne cille pas, n'évite pas, interroge et interroge encore un autre qui s'appelle le peuple dans son infini de traces et de regards.